L’esprit coi, sans pour autant tonguer1, j’essayais de progresser en onomastique2 lorsque qu’au cours d’une consultation du Petit Robert, j’ai été inondé de locutions qu’il venait d’engranger en son sein.
Alors, j’ai mis à profit ce temps des vacances pour recycler un peu mes expressions vieillottes, afin que, à partir de maintenant, elles soient customisées3.
Tout d’abord, j’espère que vous avez tous passé d’excellentes vacances et que donc, votre rentrée, ce n’est que du bonheur4. J’espère que vous captez car, avec ces nouveaux mots, des montages surprenants peuvent être réalisés ! On va dire5, comme il est dit dans l’article qui a inspiré cet édito : « J’hallucine sévère, ce groupe est total6 déjanté, la DRH, elle spamme7 totalement la vie syndicale, mais quand même, je ne voudrais pas criser ».
Alors, je vais essayer de rester casher8 et de vous scotcher pour vous entretenir de la suite.
Il s’agit en l’occurrence de l’effacement des générations nées dans l’après guerre (1944-1947) et qui s’approchent aujourd’hui de la retraite, par les générations de nos enfants (plusieurs éditorialistes ont planché sur ce sujet pendant cet été). Ces générations du baby-boom, relativement chanceuses, qui ont profité des décennies de reconstruction (les Trente Glorieuses) et qui ont provoqué, au fur et à mesure qu’elles avançaient en âge et secouaient les somnolences et les conservatismes, quelques événements notables, parmi lesquels mai 1968, n’ont pas été soi-disant au niveau des espérances suscitées. J’en étais et, sincèrement, je pensais avoir participé à quelque chose de novateur car, quand même, sous des aspects naïfs et parfois ridicules, cette révolte avait été féconde grâce au désir de liberté qu’elle exprimait ! Et bien que cela m’agace, il paraît que ces générations (presque la mienne) ont pesé comme un couvercle sur la société française.
Ce qui veut dire que ma génération :
– a occupé littéralement l’espace et les postes de travail,
– a donné le « la » dans tous les domaines de la société.
D’abord en révolte, puis vite embourgeoisée, elle a profité du plein emploi (ou presque) et de l’inflation des années 60-70 qui permettait d’emprunter à bas coût pour se constituer un patrimoine. Elle a donc bouché l’horizon des générations suivantes, dont celles de nos enfants, qui ont été contraintes de piétiner aux marges de notre société dite installée.
Depuis 1975, les actifs appellent ces décennies les « 30 anxieuses », marquées par un taux de chômage important, un niveau de croissance qui n’atteint plus celui de la période précédente et un grand sentiment d’injustice qui a pu généré du découragement chez certains.
Et pourtant, j’étais persuadé que ma génération avait fait quelque chose pour bâtir un avenir radieux à ses enfants ! Et bien, pas tant que cela (quoique, s’il n’a pas été dilapidé, le patrimoine acquis par les générations d’avant peut être transmis aux générations d’après. Nous les avons brimés, ces chers petits, en croyant garantir leur avenir). Nos enfants n’ont vraiment pas eu de bol : ils sont nés trop tôt car les « classes creuses » ne vont pas tarder à arriver sur le marché du travail. Les classes creuses sont les enfants des post-soixante-huitards, encore plus soixante-huitards que les soixante-huitards, et qui se distinguent en ne procréant pas beaucoup. Donc bientôt, beaucoup de vieux qui partent à la retraite et peu de mômes pour les remplacer.
Les Américains les appellent les « dinks » (double income, no kids) c’est-à-dire les peinards qui vont retrouver le temps de la croissance et du plein emploi … et bien tant mieux et en plus cela sera utile pour payer les retraites, mais moi, aujourd’hui, je ne vois qu’une génération ‘kleenex’ qui lutte pour vivre.
Vivre, pour s’inscrire dans une certaine durée, être en capacité de se projeter dans l’avenir, se mettre en position de concevoir son propre futur ; les jeunes ont-ils la sécurité psychologique pour se réaliser ainsi, souscrire un prêt, signer un contrat de location, … fonder un foyer ?
Ces générations sont amères et il faut bien avouer que lorsque j’étais le coryphée9 du syndicat, j’ai finalement passé plus de temps à essayer de colmater des brèches ouvertes par le patronat pour faire disparaître les acquis sociaux plutôt que bâtir des avancées sociales !
Bon allez, ma génération n’a peut-être pas été tip-top10, mais, point barre11, avant que je ne sois atteint d’overthinking12, je vais me remonter le moral en éclusant (avec modération) un verre de sirop de coquelicot tout en dégustant un croquant recouvert d’une lichette de confiture de gratte-cul13 !
1 tonguer : vivre en tongs, buller
2 onomastique : science des patronymes
3 customiser : personnaliser
4 bonheur (que du) : expression très marketing qui veut dire que tout va bien
5 on va dire : expression servant à ne pas assumer totalement la responsabilité de ce qui va suivre
6 total : préfixe qui va avec tout (ce groupe est total déjanté)
7 spammer : coller, péguer voire pourrir
8 casher (ou surtout pas casher) : correct (ou incorrect)
9 coryphée : dans l’antiquité, celui qui était à la tête des choeurs. Cela s’emploie aujourd’hui pour les chefs de choeur de l’opéra de Paris et certains danseurs. Au figuré, celui qui se distingue le plus dans un groupe : Epictète fut le coryphée des stoïciens de son temps. Il est le coryphée du parti. (Remarque : coryphée s’est dévoyé en devenant un ‘long drink » créé par Georges le 19/07/91. A consulter avec modération sur http://sgrialet.free.fr/georgrec.htm).
Et pour terminer cette digression, connaissez-vous « Le chant de sommeil du Coryphée » d’Alexandre Dumas père, de l’acte V, scène V de Caligula. ! Je vous en donne la dernière strophe (à méditer en ces temps proches de Toussaint) : « Allez, que le caprice emporte,
Chaque âme selon son désir,
Et que, close après vous, la porte
Ne se rouvre plus qu’au plaisir. »
10 tip-top : rien à dire, impec
11 point barre : ça suffit, basta, ras-le-bol
12 overthinking : nouveau mal qui frappe les américains : la rumination mentale non-stop : toujours en pensée
13 gratte-cul : cynorhodon