L usine de Lacq à 50 ans
Année 1951

Après 5 heures de discussion entre M.Cauchois, directeur technique, M. Chappelet, un ancien de la Roumanie, directeur des forages, et le Président Blanchard aux Allées de Morlâas, il est décidé de tuber le puits. L’opération terminée, le forage reprend et 19 décembre 1951, la sonde atteint -3.550 m et,  il se produit une violente éruption de gaz.

Sur la sonde, Constantin Schinkel était maître sondeur de Lacq3. Avec lui se trouvait l’ingénieur Ramette : « On se connaissait bien, Ramette et moi, raconte Schinkel …je ne sais pas pourquoi, je sentais ce jour-là dans mes nerfs que ça n’allait pas comme il fallait. Pendant le forage, j’avais remarqué des bouchons de gaz qui montaient. C’était le 17 décembre, le 18, on fait un carottage avec une fraise au diamant ; c’était Buchères, un autre maître sondeur qui était venus le faire. Il était midi, j’allais partir manger, mais je suis resté. Pourquoi tu restes me demande-t-il ? Je sens que ça va aller mal. Je crois même que nous allons avoir une éruption. Alors il m’a dit( : je reste aussi. J’étais au frein et Buchères sur les bassins à boues . Soudain je lis sur le manomètre : pression 100kg, 150kg, 180kg en surface. Je remonte la tige carrée, je ferme le puits et j’épaissis la boue ; puis je téléphone partout pour annoncer qu’il y a du gaz. On prévient Cauchois, Féger, Bouche, Chappelet. La pression est à 200kg en surface. Je me suis dit ‘ça a chauffer et sec !’. Schinkel doit injecter une boue plus lourde le 19 à 6heures, aussi, le soir du 19, le brave Schinkel dort sur place, sur un lit de camp à côté de la sonde. Pendant la nuit, la pression monte à 330 kg. Schinkel se réveille un peu avant l’heure, il va voir le manomètre et à cet instant, le train de tiges se rompt. Le gaz fuse librement à 35 mètres au dessus du sol. Le débit est effrayant, 150.000 m3/jour. On se doute à son odeur d’œufs pourris qu’il doit être nocif. Il suffirait d’une étincelle pour l’enflammer et tout peut produire une étincelle ! Schinkel se porte volontaire pour attacher la tête du tube, la grande échelle des pompiers de Pau arrive, il y monte, son masque lui colle au visage, il s’essouffle, d’un geste instinctif, il passe le doigt entre sa joue et la membrane de caoutchouc pour se donner un peu d’air. Il respire une bouffée d’hydrogène sulfuré et perd aussitôt connaissance. Il tombe mais reste suspendu au bout du câble de sécurité passant par le sommet de l’échelle , un peu comme une grenouille au bout du fil. Ramette se précipite pour le dégager, mais au bout de quelques secondes Shinkel revient à lui. Etc….

Pour juguler cette éruption il faudra Myron Kinley. Le Président Blanchard est étonné en rencontrant ce personnage : ‘ je ne m’attendais pas du tout à voir un homme de cette sorte : Il était hirsute, pas rasé, sans cravate et portait un veston fripé. Il ressemblait beaucoup plus à un vagabond qu’à un spécialiste du pétrole. Imaginez un grand gaillard au visage balafré, traînant une jambe raide … en un mot, le genre de personnage qu’on n’aime pas rencontrer au coin d’un bois ! Je lui expliquait en gros notre problème et ce n’était pas facile car il ne parlait pas le français et son anglais était, en réalité, du texan : un dialecte assez incompréhensible !’

Cette éruption violente marque la découverte de Lacq profond à -3.550 mètres, dans un anticlinal de 15 km de long , 9 km de large et de 3.200 mètres de sommet, un gisement de gaz dont les réserves sont estimées à 280 milliards de mètres cubes, dont 200 milliard est récupérable est découvert ( c’est ce que l’on trouve dans les brochures de la maison vers 1960 ). La pression est très forte, 670 bars au fond dans la formation productrice, la température élevée 140°C et le brut extrêmement corrosif car il contient 15% d’hydrogène sulfuré ( H2S) et 10% d’anhydride carbonique ( CO2). Ces deux produits sont faiblement acides, mais le gaz brut de Lacq est humide, il contient de la vapeur d’eau et à son contact, ces deux produits exercent sur l’acier, une forte ‘corrosion fissurante » qui provoque une fragilisation très rapide des tubes en acier, couramment employés par les foreurs, et qui deviennent cassants. C’est ce qui s’est passé à Lacq 3; les tubes de forages fragilisés, se sont rompus sous la pression et il fut impossible d’injecter de la boue  pour contrebalancer la pression du gaz, comme on le fait toujours. Le gaz mortel sort sous pression à l’air libre ! La circulation fut interdite sur les routes et voies ferrées (au début, les trains prenaient de l’élan et passaient motrice coupée !), la Préfecture prescrivit l’extinction de tous les feux.

Cet événement qui à l’époque défraya la chronique, provoqua de sérieuses angoisses jusqu’au moment où le « pompier volant »,Myron Kinley, réussit à maîtriser le puits après 53 jours d’efforts. En débitant une dizaine de millions de m3 pendant la durée de son instrumentation, Lacq 3 laissait supposer l’existence d’une réserve importante de gaz.

En partant, il déclara, «  refermez tout, remettez de l’herbe et des vaches ! ».

« Jean Lartéguy est retourné sur place avec Constantin Schinkel. Ce dernier a eu du mal à retrouver l’emplacement de Lacq3, situé derrière l’Usine dont on aperçoit toute proche une torche gigantesque coiffée de sa flamme orangée, ce n’est plus qu’un petit rectangle de terrain recouvert de planches pourries par l’humidité. A dix mètres de là, le puits LA59 avec sa pompe à balancier continue à tirer le pétrole du gisement de Lacq Supérieur ».

Le délicat de la chose c’est que Lacq 3 ne permet pas de dire si le forage est tombé sur une lentille de gaz ou sur un gisement ? Aussi les puits LA101 et LA102 furent forés à proximité de Lacq 3 en utilisant des tubings d’origine étrangère, conçus  et utilisés pour l’exploitation de gaz sulfureux. Mais les essais durent être rapidement arrêtés car le revêtement intérieur en matière plastique ne résistait à l’alcalinité des boues chauffées au contact du gaz (forte densité des boues de 2,30 pour empêcher le contact du gaz avec l’acier extérieur, mais le plastique s’écaille avec des boues chauffées à 140°C).
A l’époque, pour mettre « Lacq profond » en exploitation, la SNPA a dû résoudre des problèmes techniques particulièrement ardus. Il a fallu adapter les méthodes de forage et les équipements usuels aux conditions difficiles de ce gisement. Et oui, pour l’époque, il est situé à une très grande profondeur ; le puits Lacq 116 est à 5.204 mètres, la pression est très forte et la température élevée !

.Heureusement l’entêtement du Président Blanchard et l’ingéniosité des sidérurgistes français pour mettre au point des aciers capables de résister à l’action corrosive de ce gaz et permettre ainsi l’exploitation du gisement.

Caractéristiques du Gisement de Lacq comparées à celles de quelques autres gisements de Gaz naturel
Caractéristiques Lacq
France
Saint-Marcet
France
Pinker-Creek Canada Cortemaggiore
Italie
Elk-Basin
Wyoming  E-U
Profondeur minima 3.300 m 1.600 m 3.500 m 1.800 m 1.500 m
Pression de fond 670 kg/cm2 135 kg/cm2 350 kg/cm2 177 kg/cm2 105 kg/cm2
Température de fond 140° 65° 88° 47°5 50°
Teneur en H2S 15.2% 0% 10% 0% 18.5%
Teneur en CO2 9.6% 0% 4.50% 0% 6%
Méthane+Ethane 72.5% 93.4% 78.5% 94.3% 57.2%
Hydrocarbures condensables 65 g/m3 100 g/m3 115 g/m3 420 g/m3

Un ancien ouvrier témoigne :
« Lacq 1 sera transporté sans démontage sur 500m (cela se fait en Amérique) et à cette époque, les fosses destinées à recevoir les boues de forage étaient creusées à la pelle et à la piocher, la terre était transportée à la brouette. Il n’y avait pas de grues pour transporter le matériel, celui-ci était déplacé avec l’aide d’un cric et à la main, l’outillage pour les forages était récupéré d’un puits pour aller sur un autre ».

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