Ce jour, du 1er tour des élections CE/DP dans l’UES Amont, figurez-vous que j’admirais Cautas à la Tour Coupole, par contre j’ai du me contenter de sacrifier à Cautopatès devant le CSTJF, frappé d’interdiction d’entrer que j’étais par l’imperator local ! Sans doute supputait-il une victoire écrasante du SICTAME et des agapes qui s’ensuivraient ?.
Puis vint le deuxième tour victorieux et nous pouvons remercier nos électeurs en leur promettant de faire mieux la prochaine fois.
Faire mieux, oui car je me sens un peu frustré de ne pas pouvoir écrire « A force d’aller à la Soupe, ils ont pris une gamelle », à 30 voix près, nous aurions eu la majorité ! .Où sont donc passées ces voix ? Sommes-nous vraiment, trop francs et sincères face aux apocos et attrape-minettes, ou faisons–nous plus peur que les Douk-Douk d’en face ?
Il est clair qu’une victoire plus marquée du SICTAME ( car les résultats ne sont pas catastrophiques pour l’Entreprise) :
– lui aurait permis d’obtenir de la Direction qu’elle ne serve plus de galimafrées à la table des négociations, mais de la bonne ripaille pour mâche-dru ! Hélas, nous devrons encore quelques temps supporter ces mauclers et ces rapins qui nous servirons encore force brouets ! ,
– lui aurait permis d’afficher encore plus fort ses convictions car selon nous l’Entreprise marche sur la tête, pilotée sans vergogne et à l’aveuglette par les oligarques de l’économie et leurs vassaux des médias et de la haute administration. La logique du temps présent voudrait une soumission aux volontés de pouvoirs, une reddition sans condition. Mais lorsque le monde vit dans l’urgence, toute perspective s’évanouit [1] et ce qui, par le passé, serait resté une trahison disparaît dans les limbes de l’oubli. A civilisation sans mémoire, tout est permis, plus d’honneur, plus de déshonneur ! Mais voilà, le SICTAME tient à ses valeurs du passé, du présent et de l’avenir et nous ne voulons pas devenir des zombies réduits à l’état de collaborateurs serviles ! Ce serait tragique de ressembler au « Dernier Homme » que stigmatisait Nietzsche par la voix de Zarasthoustra, « le dernier homme qui rapetisse toute chose » ?[2]. Là où il devrait s’échapper de son enveloppe pour mieux observer son négatif, il reste prisonnier du « temps présent », il n’a plus d’horizon, plus de posture, plus de position pour juger ses actions. Retourner sa veste ? Encore faut-il qu’il en ait une ? .
Alors au SICTAME, à l’instar du Diogène de Sinope, nous garderons un horizon clair et nous aimerons « Penser notre vie et vivre notre pensée ! [3] ».
Et il ne nous est pas interdit d’être opportuniste et si un jour nous adoptons un compromis, et nous savons dès maintenant qu’il faudra préserver, au jour le jour, ce pacte instable et tenir ce contrat contre toute volonté de récitation, contre la tendance du pouvoir à corriger et contrôler l’acte de liberté qu’il mécène mais ne comprend guère !
Et puisque je me suis laissé aller à vous parler de « soupe » et « d’opportunité », je vais terminer cet éditorial en vous donnant une recette de cuisine qui est la recette vaudoise de la « Soupe à la Pierre » (Canton de Vaud, selon la tradition du Pays –d’Enhaut).
« Autrefois, les montagnes étaient sillonnées de rôdeurs qui allaient de ferme en ferme, quêtant ici un dîner, ailleurs un petit verre de goutte ou de gentiane pour marquer la « passade », là un souper et la « couche » à l’écurie ou à la grange.
Ils étaient en général guère bien vus des fermiers, qui eux travaillaient dur.
Un jour, un de ces vagabonds se présente à la porte d’un montagnard vers l’heure du repas et le fermier n’est pas enclin à l’inviter à sa table.
-Oh ! Je ne vous demande pas à manger, mais seulement un peu d’eau chaude.
-Ah ! Si c’est qu’ça, on vous en donnera bien . C’est pourquoi faire ?
-Pour me faire moi-même, dans ma gamelle, une soupe à la pierre.
-A la pierre ?
-Hé oui, avec ce caillou spécial. Et sortant de sa poche un galet de la taille d’un œuf, il le montre au montagnard qui l’examine longuement.
-Je l’ai trouvé, il y a deux ou trois ans, pas loin d’ici. En cherchant bien, je crois qu’on pourrait encore en trouver d’autres par là-bas.
-Et avec cette pierre, vous faites de la soupe ?
-Ben, oui ! Et elle est fameuse !
-Bon … entrez, montrez-nous ça.
Le vagabond entre, la fermière attise le feux, chauffe de l’eau dans une casserole et le curieux bonhomme met à bouillir sa non moins curieuse pierre tandis que chacun se presse autour du foyer pour voir s’opérer le miracle.
-Ca donnera une bonne soupe ?
-Bien sur. Evidemment, elle serait encore meilleure si vous me donniez un oignon à y mettre et une poignée de semoule et de vermicelles.
-Si ce n’est que ça, ma femme va vous les donner.
-Alors dites-lui de râper aussi un morceau de fromage et envoyez le « bouèbe » ramasser d’la « verde » ( épinards sauvages) vers la porte de l’écurie ; j’ai vu qu’il y en avait des tas !
Tout étant dans la casserole, la soupe à la pierre commence à sentir bon …
-Peut-être encore un p’tit morceau de beurre puisque vous en avez sûrement … Bon, merci … et juste avant e servir, on mettra une toute petite goutte de vin blanc pour lier le fromage qu’on ajoutera dans les assiettes.
La soupe fut bientôt prête ; chacun la trouva vraiment à son goût. Et, avec cela, pas chère du tout.
On remercia le bonhomme et on l’invita à rester pour tout le repas.
Au moment de partir, il reprit sa pierre, la lava soigneusement et la remit dans sa poche. Mais le fermier le prit à part dans un coin :
-C’était vraiment une soupe fameuse ! Dites … vous ne la donneriez pas à ma femme, cette pierre, pour qu’elle puisse nous refaire des soupes comme ça ? [4]
Allez, bon appétit.
Et comme vient de le décider le dernier Conseil Syndical du syndicat, appliquons fièrement dés à présent notre nouveau slogan ( écrit en concolore : bleu ou rouge, en bicolore : bleu et rouge ou en multicolore : blanc, bleu et rouge ?) :
SICTAME, en avant !
Lexique :
–Cautas et Cautopatès : Dieux solaires dans la mythologie iranienne. Cautas apparaît en dieu de soleil levant et Cautopatès en dieu du soleil couchant, dans la triade qu’ils forment avec Mithra ( midi).
–Apoco : Homme de peu d’esprit.
–Attrape-minette : Hypocrite.
–Douk-Douk : Personnage qui joue le rôle d’épouvantail chez les Mélanésiens de L’archipel de la Nouvelle-Bretagne.
–Galimafrées : mets déplaisant.
–Mâche-dru : Gros-mangeur, gourmand.
–Mauclerc : Homme ignorant qui ne manque pas de prétention.
–Rapin : Dans les ateliers de peinture, jeune élève chargé des travaux les plus grossiers et des commissions.
[1] : Zaki Laïdi, Le Sacre du Présent, Flammarion.
[2] :Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra, GF, Flammarion.
[3] :Article de Ariel Kyrou « Un Horizon pour ne pas s’engluer dans la soupe opportuniste ».
[4] : A la mode de Chez nous, Michel Vidoulez-Jacqueline Grangier, Editions Payot, Lausanne 1976 et 1982 ( Histoire racontée par Mme Tiana Nicolet, de Rougemont).