La vie des gens


Il est certes vain de refaire l’histoire, mais on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui se serait passé si SM1 avait été placé 300 mètres plus au sud, à l’emplacement où a été foré SM2 ? Car SM2 s’est avéré négatif ! Par contre, les troisième et quatrième puits forés l’un à 600m au nord et l’autre 300m à l’ouest confirmèrent l’existence d’un réservoir à gaz.

Y a-t-il eu vraiment miracle à Saint-Marcet ?

La légende : dans la région d’Aulon-Latoue, une légende relatait que les troupeaux et les bœufs refusaient de boire dans un ruisseau, affluent de la Louge car il y avait de larges taches d’huile à la surface de l’eau et une forte odeur de pétrole. Dès 1914, le chanoine Estinés prophétisera qu’il y a du pétrole dans le secteur des Petites Pyrénées mais lui n’a pu rien trouver …sans doute que les techniques d’alors n’étaient pas assez performantes ?

La réalité : aujourd’hui, Saint-Marcet existe mais, il n’y a pas eu de miracle, seulement le résultat conjugué d’une forte volonté politique, d’un heureux hasard face au pari osé de la part de géologues entreprenants, de l’emploi de techniques nouvelles arrivées à point nommé, de l’intelligence et du dur labeur des hommes !


a) Un contexte difficile, la guerre, l’occupation allemande

Bravo à tous ceux qui ont travaillé à Saint-Marcet car la moitié du développement du site s’est effectué pendant la deuxième guerre mondiale au milieu des difficultés extrêmes dues aux restrictions de toutes sortes et notamment à l’épuisement des stocks des pièces de rechanges.

L’époque est “compliquée”+

3, aux difficultés d’approvisionnement en matériel, s’ajoute, après juin 1940, un problème moral. Doit-on mettre en valeur des ressources qui peuvent profiter à l’occupant ?

Les activités de forage continuent néanmoins : 7.532m sont forés en 1940, 4.735m en 1941, 7.500m en 1942 et cette même année, la production de Saint-Marcet démarre avec 9.5 millions de m3 de gaz produits et traités à l’usine de Peyrouzet. En 1943, Saint-Marcet produit 46 millions de m3 de gaz et le dégazolinage fournit 520 tonnes d’huile. L’installation à Boussens se prépare ; l’usine de traitement U.D.B. et les premiers bureaux sortent de terre.

Le matériel est stocké soit sur parc à Saint-Gaudens, soit sur les chantiers de Gaussan, Gensac, et Saint-Martory … à  portée des résistants !

La zone libre est occupée le 11 novembre 1942 et donc Saint-Marcet.

A partir de 1943 et après l’occupation de la zone libre, les Allemands, que le recul de leurs armées en Russie a privé de sources de ravitaillement pétrolier, veulent participer aux travaux d’exploration tandis que l’O.N.C.L. s’efforce de les cantonner dans un rôle de “contracteurs” de forage. Ils ont préalablement réquisitionné toute la production du petit gisement de Gabian près de Béziers (il a produit 301 tonnes en 1943).

La Kontinentale Oel tente de conclure un accord avec la R.A.P. mais courageusement, Pierre Angot et le Conseil d’administration refusent.

Alors, le Ministère des Transports de Vichy impose la présence allemande. Ces derniers arrivent avec du personnel technique : géologues, sondeurs, ingénieurs et du matériel : cinq appareils “Rotary” qui foreront dans la région, mais principalement sur les structures autres que Saint-Marcet. Le SM7, non loin du centre de la commune, au lieu dit “La Palenquetto”, en bordure des routes menant du hameau de “Lacouge” au “Pinat” et du chemin de “Chirolle”, foré par les spécialistes allemands amenés par la K.O. donne des résultats satisfaisants. Mais, ils ont eu beaucoup de déconvenues, leurs puits de Saint-Martory et de Laffitte-Toupière ont été non productifs.

L’activité de ces forages a été sans cesse contrariée par la Résistance locale et, la surveillance des chantiers de la R.A.P. par des contingents de germano-mongols n’y a rien changé ! (A Laffitte-Toupière, Jean-Marie Artigue, ouvrier de la R.A.P déroba la mobylette de l’ingénieur allemand et des armes, dénoncé, il fut fusillé !)

Les wagons citernes qui alimentaient l’armée allemande et donc les chantiers allemands venaient de l’Oural, d’Ukraine, et étaient des cibles toutes désignées pour les attaques du maquis.

Après la fusillade du 8 juin 1944 au Mengué (voir annexe), les Allemands  occupèrent le chantier de Saint-Marcet pour y exercer, dès ce moment-là, un contrôle direct et strict sur le personnel. Le certificat de travail délivré à chaque agent sur ordre de l’autorité allemande par la régie, témoigne de la rigueur exercée par l’occupant sur les travailleurs de l’époque.

A la débâcle, en 1944, ils abandonnent tout le matériel sur place et l’Administration des Domaines en hérite. Elle a estimé à environ 1 million de francs, le matériel laissé par la Kontinentale Oel.

Mais, pour l’avenir, ce matériel n’était pas suffisant, il fallait en commander en Amérique, ce que fit J.H de Vries, Directeur Général de la R.A.P. (voir annexe).

Les événements de la Libération ont eu un écho dramatique dans la région de Saint-Marcet où se sont rassemblés, à l’appel du Général de Gaulle, les mouvements de résistance. Les résistants ayant mené une action sur Saint-Marcet et,  le PDG de la R.A.P. ,Pierre Angot, résistant parmi tant d’autres, l’ayant caché le plus longtemps possible aux allemands,  fut déporté (voir annexe).

Et combien de Résistants, autres que ceux de la R.A.P., vont  payer de leur vie leur soif de liberté …

b) Le chantier de Saint-Marcet après la guerre

En octobre 1945, une centrale de détente et de dégazolinage par le froid est édifiée à Peyrouzet. La production du gisement est de 85 millions de m3 de gaz et de 750 tonnes de pétrole. Depuis sa découverte en 1939, 49.351 mètres ont été forés par sept appareils “Rotary. En 1946, face à la demande croissante d’énergie de la région, une station de surpression est construite à Peyrouzet (dans la vallée de la Louge). Le gisement fournit 110 millions de m3 mais, le 8 avril 1946 c’est la loi de nationalisation du gaz et de l’électricité, E.D.F et G.D.F sont nés. Le 15 janvier 1947, la station de dégazolinage par le froid de Peyrouzet est arrêtée, une unité importante, l’U.D.B est implantée à Boussens et sera inaugurée le 21 mars 1949.

c) Un événement qui a frappé les esprits de l’époque : l’incendie du SM4

Le puits SM4 est implanté à 300 mètres à l’ouest de SM1 au lieu-dit “Chirolle” afin d’amorcer une coupe longitudinale E-W de la structure. Dès l’entrée dans la brèche, une éruption de gaz se produit suivie d’un incendie rapidement éteint. Mais, au cours des travaux de remise en état du puits, nouvelle éruption et nouvel incendie suivis d’une explosion provenant des gaz accumulés sous le plancher de la sonde : neuf personnes sont brûlées et projetées violemment hors du plancher de la sonde.

Donc, le 15 juin 1941, le gaz accumulé sous le plancher de la sonde s’enflamme.

Les témoins de l’époque racontent :

  • c’était dantesque, la terre vibrait, tremblait, se fissurait et flambait. Les bêtes et les gens ne pouvaient plus se reposer à cause du bruit et de l’aveuglante lueur des flammes. Des flammes de 40 mètres, plus hautes que le derrick, jaillissent avec un bruit d’enfer et illuminent le Comminges.
  • pour stopper l’incendie, les hommes protégés par un mur pare-feux ont, à l’aide d’un câble tendu entre deux supports, réussi à faire glisser “une cloche”, fabriquée par l’entreprise Buzzichelli, sur la tête de puits pour étouffer la flamme (témoignage écrit de  Monsieur André Morange, géologue à la R.A.P. sur le chantier de Saint-Marcet).
  • au bout de 45 jours d’instrumentation et avec l’aide du pompier volant américain Red Ader en personne et les gars du Génie de Castelsarrazin, les ingénieurs et techniciens de la R.A.P. maîtrisent l’incendie.

d) Ruralité versus industrie pétrolière

Ce fut vraiment une révolution dans cette région du Comminges où la R.A.P. apporta, malgré la guerre, activités et essor économique ainsi que la sécurité pour beaucoup d’hommes jeunes soustraits aux griffes du S.T.O.

Une importante dynamisation s’opère dans tous les villages proches des sites de forages.

Le nombre important de familles, 1.546 en 1965, vivant dans la région grâce aux chantiers de forage, Saint-Marcet, Latoue, Aulon, va avoir une incidence non négligeable sur la vie locale.

Mais, quel choc entre ruralité et réalité industrielle, les habitudes ancestrales et la modernité !

A cette époque, il faut bien se souvenir que la télévision n’existait pas, que c’était le temps des soirées au coin du feu, une vie sans électricité, sans eau courante rythmée par le calendrier des travaux agricoles.

Mais avec la R.A.P. tout cela va changer, le modernisme est en route et notamment sur les 23h 62a et 37ca du village crée au “Pinat” qui va accueillir du personnel de la Régie. Un village est crée de toutes pièces avec des routes goudronnées, de l’eau, de l’électricité, du gaz de Saint-Marcet pour la cuisine et le chauffage central,  le téléphone et des dortoirs, des chalets, des WC, une cantine, une piscine, des cours de tennis, des buanderies, et des douches et une école!

Et, présente dans les souvenirs de tous les anciens que j’ai rencontrés,  il y avait la fête de la Saint-Sylvestre. La R.A.P. affrétait des cars pour faire le ramassage de son personnel de Saint-Gaudens à Boussens en passant par Aurignac et tous les villages du secteur,  pour l’amener au Pilat où se déroulaient le repas et le bal de fin d’année. Les festivités se tenaient dans le garage en face SM 1 et si le transport était gratuit, l’entrée était payante. Le chef d’orchestre était Monsieur Lacroix et à la fin de la soirée le “ Chant des pétroliers” résonnait.

La vie était rude mais, quelle solidarité entre les hommes ! Si l’on en croit cette lettre de G. Barthe adressée à un de ses collaborateurs sous les drapeaux : « Je ne sais pas encore qu’elle est l’affectation que nous te donnerons à ton retour …en tout cas, une place t’attend toujours dans nos activités … à défaut tu alterneras en Alsace avec Guillaume, car Saint-Marcet est en voie de liquidation».

Les premiers forages entrepris dès 1939 par la R.A.P. furent exécutés par un personnel issu  de toute la France et des colonies :

  • les foreurs français expérimentés n’étaient pas légion à l’époque, ils étaient sur le seul gisement français à Péchelbronn et, suite à la débâcle, ils sont arrivés dans le Comminges. Il y avait aussi les pétroliers expulsés de  Roumanie et ceux qui  venaient du Maroc, de la Chérifienne des Pétroles (fondée entre la C.F.P., l’état chérifien et l’O.N.C.L.),
  • les spécialistes confirmés, mécaniciens, métallurgistes, diésélistes, électriciens, tuyauteurs, soudeurs venaient de la France entière, le réservoir local n’étant pas suffisant,
  • la population locale et surtout les jeunes fournissaient le principal de la main-d’œuvre de faible qualification. Ainsi paysans, valets de ferme, petits artisans, “gagne-petit”,  trouvèrent là des débouchés aussi prometteurs qu’inattendus et, selon leurs capacités et leurs aptitudes, ils deviennent chauffeurs, mécaniciens, sondeurs, accrocheurs et plus tard, certains d’entre-eux iront s’expatrier en Alsace, en Espagne, au Sahara, etc.
  • plus inattendu, certaines routes d’accès aux forages furent construites par des asiatiques venant d’Indochine.

C’était quand même une vie rustique, à preuve, sur Proupiary 1, certains employés sur le chantier sont chaussés de bottes en caoutchouc, d’autres de sabots et quelques-uns de souliers. Sur la tête, pas de casque, mais un béret ou une casquette. Pas de bleus de travail non plus, presque des tenues de ville, pantalon, chemise, pull, blouson et c’est tout juste si la cigarette n’était pas aux bords des lèvres !

Tous ces employés de la R.A.P. et aussi, après ceux de la Forex, concentrés sur les 3 communes d’Aulon, Latoue et Saint-Marcet donnaient à cette région un aspect de “Far West” made in France.

A cette époque, le plein emploi existe :

  • avec la construction des gazoducs qui vont de Peyrouzet jusqu’à Toulouse, Pau, Bordeaux et qui appelle quantité de main d’œuvre locale,
  • avec la construction de toutes les installations de pompage, l’usine de Peyrouzet, le stockage de gaz de Saint-Gaudens, etc.

Tous ces emplois et les emplois induits créent un vigoureux dynamisme économique dans tous les  villages environnants.

Mais tout n’allait pas pour le mieux car en plus de tous les problèmes d’approvisionnement, d’occupation allemande, la R.A.P. devait faire face à la grogne des paysans regroupés en syndicat de défense pour se faire indemniser des dégâts causés par les activités de forage … dégradations et pollution. C’était, à n’en pas douter, une bonne formation, pour les futurs “permit-men” (agents chargés de négocier les autorisations de passage des engins sur les terrains et d’évaluer les préjudices causés par le chantier de la S.N.P.A. et Elf !

Extraits de la Dépêche du midi du 25/10/1950

Les déplorables exploits de la Régie Autonome des Pétroles.

“Le 2 mai 1947, la R.A.P., sans aucune autorisation ni accord préalable occupait sans vergogne le terrain  appartenant à Claude Nogués et Agnés Gaillard de Saint-Marcet qui tentèrent bien timidement de  protester contre cette violation flagrante de propriété. Mais la R.A.P. se croyait tout permis et agissait absolument comme  au temps de la féodalité. Personne n’osait protester et ne pouvait résister en raison de l’épouvantail de l’expropriation que l’on ne manquait pas d’agiter à chaque occasion.

…les ingénieurs de la R.A.P. ont-ils le droit de se moquer des propriétaires en ne se gênant pas de montrer à ces derniers leur mépris pour leur ignorance de leurs droits …

…nous sommes l’Etat, nous avons tous les droits…

La R.A.P. est rappelée à l’ordre mais continue et voici bientôt 8 ans et demi  que SM19 est installée au ras de la maison d’habitation de Nogués … La R.A.P. verse une indemnité dérisoire …

La R.A.P. n’installe pas de clôture autour de ses sondes, elle est répréhensible, mais  ….

Pourtant si nous, allions simplement armés d’un vilebrequin percer seulement un trou dans le plancher du bureau du directeur général de la R.A.P. nous serions traduits séance tenant en correctionnelle alors que lorsque le même Directeur général de R.A.P. prend la liberté  sans nous demander notre avis de forer un puits de pétrole dans notre propriété, ce qui équivaut au percement d’un coffre-fort, il a droit à la légion d’honneur !”

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